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Feuille de musique et guitare, qu'on peut dater de la fin de l'automne 1912 (Daix-Rosselet 520), appartient à une première série: Picasso y prend d'emblée le contrepied de Braque. Ici l'armature dessinée n'est plus visible, elle a été entièrement recouverte par de grands morceaux de papier, certains colorés vivement, d'autres découpés dans une partition. L'impact de la Guitare construite en carton (musée Picasso, Paris) y est flagrant, comme sur le reste de la série: des photographies de l'atelier de la fin 1912 la montrent accrochée au milieu des mises en place dessinées de ses papiers collés en cours (dont le nôtre), comme pour mieux éprouver la possibilité de « mettre à plat » l'assemblage, de le démonter et le remonter, de construire une autre guitare au moyen de la seule superposition de différents papiers – surmontée au final par le petit rectangle épinglé figurant les cordes de l'instrument. Ces épingles de fixation, souvent laissées en place (ainsi, par exemple, sur quatre papiers collés de la seule collection du musée Picasso), ajoutent leur poids de réalité brute, et une touche de feinte négligence, à l'édifice sophistiqué du papier collé.
Le poète prônait le lien fort entre musicalité et poésie à l'instar des considérations antiques. Le peintre espagnol intègre ces préceptes. Il écrit des poèmes en français et en espagnol en jouant sur les allitérations, à la musicalité certaine. Il tisse un parallèle entre des partitions de musique, cartes astronomiques et des représentations de guitare. L'exposition s'attache également à mettre en valeur les amitiés musicales de Picasso. Son mariage avec Olga Khokhlova et sa fréquentation des bals mondains de l'entre-deux guerres, le plonge dans un environnement musical intense. Jean Cocteau est l'un de ses amis proches, ainsi que le compositeur Francis Poulenc. De nombreux billets, affiches, invitations à des spectacles sont rassemblés. Si Picasso n'a pas assisté à tous ces évènements, ils témoignent de la vie culturelle intense et de l'effervescence de Paris entre les deux guerres. Au début des années 30, Picasso s'intéresse au thème de l'aubade, issu de l'iconographie traditionnelle où un berger musicien et sa muse incarnent le mythe du bonheur pastoral.
Les croquis de danseuses de cancan rappellent ceux des artistes de la fin du XIXème siècle et évoquent cette même ambiance frivole et survoltée. A cette époque, Picasso fréquente également le cirque Médrano. Un orchestre jouait pendant les numéros des musiques à la mode. La figure du saltimbanque s'impose comme un alter-égo pour le peintre. Il le représente souvent, mélancolique, portant un instrument sans nécessairement en jouer. Au fur et à mesure des dessins et des peintures, les instruments de musique, finissent par exister sans musicien. Ils deviennent le sujet principal de l'oeuvre. C'est en s'appuyant sur eux que Picasso va développer son vocabulaire cubiste. De 1909 à 1915, il décline violons, guitares et mandolines sur tout support et grâce à différentes techniques pour atteindre l'essence même de ses théories cubistes. La mandoline est alors un instrument très à la mode. Si le violon s'inscrit dans la tradition savante, il fait référence chez Picasso aux musiciens de rue ou de cirque et au Montmartre ouvrier.
L'ensemble des papiers collés conservés au Musée est remarquable, grâce, surtout, à la donation de Marie Cuttoli et Henri Laugier en 1963. Il comprend de beaux exemples de chacun des principaux moments du travail de Picasso dans ce domaine, essentiel pour la compréhension du cubisme, mais aussi pour la suite de son œuvre, qui en portera la marque quasiment jusqu'au bout. En effet, Picasso ne fait pas seulement du papier collé – prolongé par des constructions et des assemblages, qui auront une immense influence sur la sculpture du XXe siècle – un incomparable instrument de liberté formelle: il le dote d'une richesse sémantique (interrogée, depuis, par de nombreux historiens d'art) apparemment inépuisable. Feuille de musique et guitare, qu'on peut dater de la fin de l'automne 1912 (Daix-Rosselet 520), appartient à une première série: Picasso y prend d'emblée le contrepied de Braque. Ici l'armature dessinée n'est plus visible, elle a été entièrement recouverte par de grands morceaux de papier, certains colorés vivement, d'autres découpés dans une partition.
Picasso va immédiatement s'emparer de cette technique et, simultanément, l'explorer dans toutes sortes de directions. Bien loin de s'en tenir, comme Braque l'a fait au début, à des rehauts de papier faux bois, il va jouer des discordances de matériaux différents (texture optique du papier journal couvert de mots, papiers peints à fleurettes kitsch, papiers unis bleus, paquets de tabac, bouts de cordelières ou boîtes d'allumettes), comme autant de niveaux de langage, de voix plus ou moins distanciées ou décalées. Picasso réalise en tout environ 130 papiers collés entre 1912 et 1914, deux fois plus que Braque; comme le souligne Brigitte Leal dans Picasso. Papiers collés (1998), la synthèse la plus complète à ce jour sur ce dossier, les expériences de Picasso évoluent sinueusement, dès le départ, entre un hermétisme radical, l'élaboration d'un système polysémique complexe, et une recherche décorative plus séduisante et plus joueuse.
Des premières scènes de la vie gitane aux Ballets russes, des Bacchanales aux instruments cubistes, des musiciens de cirque aux joueurs de flûte de la fin de sa vie, nous sommes accompagnés par de la musique traditionnelle, populaire, festive ou encore classique. Les arts s'entre mêlent et les arts plastiques, la littérature, la musique et la poésie vibrent de la même énergie. Les musiques de Picasso jusqu'au 3 janvier 2021 à la Philharmonie de Paris.